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Où donc va la “transformation démocratique” égyptienne ?

Le ministre Ali El-Selmy, chargé de portefeuille du Développement politique et de la Transformation démocratique, est en train de décevoir fortement malgré son titre ronflant. Il y a deux jours, il a proposé des principes supra-constitutionnels qui donnaient des pouvoirs considérables au Conseil suprême des forces armées, et aujourd’hui, jeudi 3 novembre, il a constitué le Conseil suprême de la Presse sans beaucoup de journalistes indépendants.

Ali El-Selmy est aussi détenteur du portefeuille de l’investissement et des affaires publiques et deuxième vice-Premier Ministre. Il est au pouvoir depuis le remaniement ministériel de juillet dernier, qui avait eu lieu après d‘intenses manifestations contre l’apparente complicité du gouvernement actuel avec les criminels du régime précédent. Son travail est tout sauf  facile, mais les résultats laissent apparemment les Egyptiens dubitatifs.

Ali El Selmy, (c) Yom7 website

Principes supra-constitutionnels

La discussion sur ces principes est un serpent de mer. Aucun accord n’a été atteint depuis des mois sur un texte destiné à chapeauter la Constitution qui devra être rédigée l’année prochaine. Ces négociations entre le gouvernement et les forces politiques sont  dûes principalement à la crainte d’une Constitution rédigée par un Parlement élu majoritairement religieux, ou majoritairement composé de membres du régime précédent. De cette crainte avait surgi le mouvement pour “la Constitution d’abord” (c’est-à-dire, avant les élections, ce qui va à l’encontre du calendrier voté en mars par référendum).

Le texte proposé le mardi 1er novembre a fait bondir les nombreuses forces politiques qui devaient l’approuver. Devant l’indignation générale, le gouvernement a reculé jeudi 3 novembre et amendé deux articles.

L’article 9, selon Ahram online, indiquait que seules les forces armées ont le droit de discuter des affaires qu’elles gèrent, de leur budget et de la législation qui les touche. La modification consiste en la disparition de “seulement”.

L’article 10, qui créait un Conseil de défense nationale chargé d’assurer la protection du Président, s’est vu adjoindre une clause spécifiant qu’il supervisera le budget des forces armées.

L’article qui stipulait que le pouvoir reviendrait au Conseil des Forces armées si la Constitution n’était pas écrite en six mois, et que la Constitution devrait être soumise à l’approbation du Conseil, a été supprimé.

Un article concernant la recrutement des membres de l’Assemblée constituante a aussi été modifié, de sorte que le Premier Ministre actuel et les Forces armées y aient moins de poids, et afin que les femmes y soient plus nombreuses.

Conseil suprême de la Presse

Cela fait des mois que les manifestations réclament une presse indépendante, et un organe indépendant pour la superviser, à défaut de la suppression d’un tel organe. A chaque fois que les récits des manifestants contredisent la version officielle, et que ces récits n’apparaissent que dans les médias d’opposition, dont l’audience n’est pas énorme, ce besoin se fait sentir cruellement. Aujourd’hui, le Conseil Suprême de la Presse, créé par Moubarak, est toujours en place, et ses membres viennent seulement d’être changés… ils sont maintenant principalement les rédacteurs en chef des médias d’Etat, d’après Al Masry Al Youm. Ce conseil de la presse promet d’avoir un regard critique…

Ali El-Selmy

Le poste a ete cree en juillet pour lui. En tant qu’ancien premier ministre du cabinet fantôme du Wafd, Ali El-Selmy peut être considéré comme une figure d’opposition ou comme un homme d’ancien régime, suivant la façon dont on considère le Wafd. La réputation de ce parti s’est largement ternie à diverses occasions, par exemple lors de l’affaire du journal d’opposition Dostour, du trublion Ibrahim Eissa: le journal avait été décapité à l’automne 2010, grâce à un conseil d’administration très lié au Président du Wafd. (lire l’histoire entière ici). Plus récemment, le journal du Parti (du même nom, le Wafd) ne prenait guère le chemin du sérieux: les titres incendiaires et les rumeurs -sur les “baltageyya” pullulaient.

Le Wafd et le Tagammu, deux des plus anciens partis égyptiens, ont accepté la version tant critiquée des principes supra-constitutionnels. Ils ont en effet l’habitude d’approuver ce que fait le gouvernement de transition. Cela, plus leur grande inefficacité sous Moubarak, leur vaut une certaine méfiance et l’accusation de complicité avec les “felool” (les anciens du PND de Moubarak).

A l’issue de la réunion d’aujourd’hui, Ali El-Selmy a indiqué que les partis qui refusaient de participer aux discussions (les partis des Frères musulmans et des salafistes, principalement) avaient un comportement non démocratique. Il a également indiqué que tous ceux qui l’accusaient injustement seraient poursuivis.

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Egypte: lettre d’un prisonnier politique

Alaa Abd El Fattah, un célèbre blogueur égyptien, est incarcéré depuis dimanche 31 octobre, pour quinze jours. Par principe, il a refusé de s’exprimer devant un tribunal militaire. Un journal égyptien publie la lettre qu’il a réussi à transmettre à sa femme.

Abdel Fattah est issu d’une famille d’activistes et avait déjà été emprisonné en 2006 pour avoir soutenu le mouvement des juges. Il est cette fois-ci accusé d’ “avoir invité à la violence envers l’armée” : il l’a accusée, accusation qui, au vu des éléments dont les médias disposent en ce moment, paraît fondée, d’avoir réprimé la manifestation du 9 octobre pour les droits des Coptes.

Il a également critiqué la gestion des événements du 9 octobre: des chars de l’armée ont clairement écrasé des manifestants. Il a également mis en doute la légitimité de l’enquête sur l’identité des conducteurs et ses snipers,  ainsi que sur les circonstances: elle doit en effet être menée par l’armée elle-même…

Dans la lettre qu’il adresse à Manal, sa femme enceinte, publiée dans le Shorouq et traduite en anglais dans le Guardian, il se montre atterré par la période de transition que traverse l’Egypte.

“As soon as they learned I was one of the “young people of the revolution” they started to curse out the revolution and how it had failed to clean up the ministry of the interior. I spend my first two days listening to stories of torture at the hands of a police force that insists on not being reformed; that takes out its defeat on the bodies of the poor and the helpless.”

“Dès qu’ils [ses compagnons de cellule] apprirent que j’étais un des “jeunes de la Révolution” [chabab al thaoura], ils se mirent à maudire la révolution: elle n’a pas permis de purger le ministère de l’Intérieur. J’ai passé mes deux premiers jours à écouter des histoires d’actes de torture perpétrés par une police qui refuse toute réforme, et qui se venge de sa défaite sur le corps des pauvres et des faibles.”

Beaucoup d’activistes et de ceux qui ont participé à la Révolution traversent un sembable moment de découragement. Les méthodes d’oppression (par la sécurité centrale, l’armée, la police, la propagande des médias) semblent revenir de plus belle. L’économie ne se porte pas mieux. Le système éducatif est toujours dans le même état. Les élections ne leur paraissent guère plus enthousiasmantes. A tel point que certains appellent à une seconde révolution pour le 18 novembre (ici, la page facebook qui indique en substance que les revendications sont unies vers la remise du pouvoir aux civils; l’événement est créé par la page facebook “deuxième révolution égyptienne de la colère “).

Aujourd’hui, mercredi 2 novembre, le Conseil suprême des Forces armées a indiqué que plus de 300 personnes condamnées par des tribunaux militaires seraient amnistiées, et leurs noms révélés plus tard. Mais toujours aucune mention n’est faite, ni d’Abedl Fattah, ni de l’autre bloguer emprisonné, Maikel Nabil.

Le blog d’Alaa (en arabe) est ici.

Une excellente vidéo et deux articles sur l’activiste (en anglais) sont à voir/ à lire sur Al Ahram et Al Masry Al Youm.

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Les expats égyptiens ont enfin le droit de vote

Par Nadéra Bouazza

Les Tunisiens de l’étranger ont voté et ont ainsi fait l’expérience de leur citoyenneté tunisienne. Une première pour certains! Ces images de files d’attente devant les ambassades et les consulats ont donné des idées au gouvernement égyptien, qui a décidé, le 25 octobre, d’octroyer le droit de vote à ses ressortissants. Ils sont entre 7 et 10 millions et se répartissent principalement entre les pays du Golfe, l’Europe et les Etats-Unis.

Un geste fort quand on sait la méfiance qu’inspire la transition politique menée par le Conseil suprême des  forces armées. A l’aube des élections législatives prévues le 28 novembre prochain,  chacun y va de son pronostic. Et beaucoup voient dans le parti des Frères musulman, le parti de la liberté et la justice, le vainqueur des prochaines échéances électorales. Les présidentielles ne semblent pas encore à l’ordre du jour de l’exécutif actuel.

Ce droit de vote, c’est une victoire pour les Egyptiens expatriés qui appellent à une telle décision depuis fort longtemps, rappelle le quotidien égyptien AhramOnline.

Raafat Roheim, un blogueur égyptien très actif et expatrié à New-York, luttait depuis des années pour l’obtention de ce droit. Mais avant le 25 janvier 2011, le jour de la colère qui a introduit les 18 jours de contestations, cette revendication ne perçait pas. Après le 25 janvier et la chute d’Hosni Moubarak, les horizons s’ouvrent et le politique devient un peu plus l’affaire des Egyptiens et pas seulement d’apparatchiks, proches de la famille Moubarak.

«En mai 2011 dans la presse égyptienne  certaines sources militaires avaient affirmé que les Égyptiens à l’étranger ne seraient pas autorisés à voter, car ils pourraient vendre leurs votes. Cette déclaration nous a mis  en colère et nous avons commencé à réagir et à en parler sur le réseau social Twitter, en utilisant le compte @EgyAbroad», explique  Roheim  sur le quotidien en ligne al Ahram.

En Europe, dès janvier dernier, des Egyptiens ont commencé à se rendre dans leurs ambassades, que certains avaient désertées pendant de longues années. Mais le quotidien relève que la participation des Egyptiens dans le Golfe sera certainement moins forte, non pas par manque d’intérêts, mais par respects  des lois en vigueur dans ces pays, qui interdisent toute activité politique.

« Les Egyptiens ne souhaitent pas avoir de problèmes qui pourraient menacer leurs emplois…»  confie Hany Shehata, un  ingénieur égyptien au Koweit.

On ne sait toujours pas si la loi va s’appliquer dès les prochaines élections législatives. Le gouvernement a promis que ce serait le cas, dans un communiqué du 25 octobre (publication du 25 à 20h46 sur la page facebook du gouvernement, et traduction en anglais le 26 sur cette page (point trois). Mais le Ministre des Affaires étrangères a démenti quelques jours plus tard, arguant du fait qu’il ne  restait pas assez de temps avant les élections pour enregistrer tous les Egyptiens vivant à l’étranger.

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“Par demande populaire” maréchal Tantawi Président!

Des affiches au Caire et à Alexandrie soutiennent le maréchal Tantawi, et lancent d’ores et déjà la campagne présidentielle. Le maréchal ayant affirmé qu’il ne comptait pas se présenter, il s’agit effectivement d’initiatives individuelles.

La date des élections présidentielles a beau rester très floue (mars, avril, mai 2012), et Tantawi a beau avoir récemment affirmé qu’il ne briguerait pas la présidence, des affiches à son effigie sont quand même apparues. Le maréchal des armées Tantawi est le chef du Conseil suprême des forces armées, autrement dit le chef du Conseil militaire qui gouverne l’Egypte pour la période de transition.

Le Conseil suprême des forces armées a très mauvaise presse auprès des Egyptiens qui suivent de près la politique. En effet, sa gestion de la période de transition laisse à désirer. Son rôle est normalement de protéger la population. Or la population a plutôt à se plaindre du Conseil, que ce soit à cause de ses actions ou de son inaction.

Les activistes arrêtés pendant des manifestations qui s’échauffent un peu, ou parce qu’ils ont critiqué l’armée, ont toujours le privilège d’être jugés devant des tribunaux militaires. La loi d’état d’urgence est en effet toujours en place.

Le pouvoir devrait bientôt revenir au Parlement élu, qui sera lui-même l’auteur de la prochaine Constitution, laquelle définira la nature du régime à venir (parlementaire, présidentiel, etc) et permettra aux élections parlementaires d’avoir lieu. Certains s’inquiètent d’une prolongation de la période de transition: la Constitution ne sera pas rapide à écrire et les élections présidentielles auront peut-être lieu très tard. En attendant, l’exécutif resterait entre les mains du Conseil suprême des forces armées (et du gouvernement de transition, certes).

Lorsque des Coptes ont été attaqués, pour diverses raisons et à divers endroits au cours de l’année, l’armée n’a réagi que faiblement et n’a pas empêché le bilan d’être funèbre. Le Conseil argue du fait que ses moyens sont limités et que l’armée ne peut pas être partout. Enfin, lors de la manifestation pour les droits des Coptes le 9 octobre, les forces de l’armée, de la police et/ou de la Sécurité centrale ont attaqué les manifestants et ont fait plus de 25 morts.

Plus tôt dans l’année, l’armée avait déjà fait preuve de violence en dispersant les manifestations, notamment celle des officiers du 9 avril. A chaque fois, évidemment, elle nie toute implication et rejette la faute sur une tierce partie., des étrangers ou des suppôts de l’ancien régime.

Les taux de crime ont paraît-il augmenté, parce que la police ne fait pas plus son travail qu’avant, voire moins, et les voleurs s’enhardissent, tandis que les criminels libérés pendant la Révolution ne sont pas tous retournés derrière les barreaux. La police militaire est débordée ou négligente.

Ajoutons à cela les multiples demandes de la Révolution qui n’ont jamais été entendues, et qui ne peuvent peut-être pas l’être tant qu’un gouvernement élu n’est pas en place : réforme des ministères, de l’éducation, plus de justice sociale par l’intermédiaire d’aides, de redistribution, d’augmentation des salaires, d’embauches, etc.

On comprend que la cote de popularité du Maréchal ne soit pas au zénith.

Pourtant, il est vraisemblable qu’il jouit d’un certain soutien, ne serait-ce que parce que beaucoup ne suivent pas attentivement la politique ou se contentent des informations des chaînes télévisées d’Etat, qui font sensiblement preuve de la même allégeance au pouvoir en place et à l’armée que pendant les décennies précédentes.

Popular demand for Stability (in red); above: Popular campaign for the Marshal as President; Demande populaire de stabilité (en rouge); Campaigne populaire pour la candidature du Maréchal comme président

Début octobre, le Maréchal s’était promené en habits civils dans le centre du Caire, montrant benoîtement sa capacité à endosser un autre costume… Un tollé avait fait écho à cette initiative pour le moins osée, et commentée avec bienveillance par les chaînes de télévision d’Etat. Le Maréchal avait alors affirmé qu’il n’avait pas l’intention de se présenter comme candidat. Le Conseil suprême des Forces armées assure régulièrement que l’armée est mal à l’aise avec son rôle politique et souhaite rendre le pouvoir aux civils au plus vite, même si beaucoup d’activistes ont des doutes à ce sujet.

Certes, le maréchal est un ancien homme de confiance de Moubarak et bénéficie de la sympathie populaire qui va généralement à l’armée. Mais il est réellement vieux et malade, et l’échelle de la campagne n’est pas (encore) impressionnante. Cette initiative est curieuse mais ne semble pas augurer du futur de l’Egypte.

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La propagande d’Etat

Dimanche 9 octobre, lors des affrontements qui ont conduit à la mort de presque une trentaine de manifestants Coptes, les télévisions d’Etat et les télévisions privées avaient un discours bien différent. Tandis que la version officielle accusait les Coptes d’attaquer l’armée, les chaînes privées offraient une couverture plus nuancée.

Le résultat ?

Poussés par la propagande d’Etat, des hommes sont descendus dans la rue pour apprendre aux Chrétiens à attaquer la glorieuse et bienveillante armée, et ont ainsi terrorisé, par exemple, la place Tahrir.

« les manifestants coptes jettent des pierres sur les policiers et soldats charges de la protection du bâtiment Maspero »

Certaines chaînes privées, comme Al-Hurra (chaîne américaine en arabe), ou OnTV (chaîne privée indépendante), ou TV25 (chaîne née après la Révolution, tirant son nom du soulèvement du 25 janvier), ont été menacées par des raids de la police militaire qui souhaitait empêcher la diffusion en direct des événements.

Les bureaux de la chaîne de télévision “25 janvier” ont fermé pendant 11 jours, en signe de protestation contre l’intrusion des forces armées dans le bâtiment le 9 octobre. Des Coptes y auraient  en effet trouvé refuge, pourchassés par des soldats. L’armée avait fini par quitter les lieux sans les avoir trouvés. La plupart des journalistes, sur le moment, ignoraient ces circonstances.

Le présentateur d’Al-Hurra argumente dans cette vidéo pour qu’on le laisse continuer à diffuser : ” je suis Egyptien ! je suis avec vous ! calmez-vous. C’est bon, ça suffit”

Dans la vidéo suivante, on entend la présentatrice de Al Masriya (l’Egyptienne), dire que : « il y a plus de 3 morts et 10 blessés parmi les soldats, et non pas par les israéliens mais par des fils de notre pays ! » « ils ont attaqué cette même armée qui nous a protégés pendant la révolution »

Dans cette vidéo, extraite d’un reportage d’une autre chaîne d’Etat, Al Awla (la première), on entend le dernier soldat dire « ils nous ont frappé, ils nous ont tiré dessus, les Chrétiens, fils de chiens ».

Le Premier Ministre fait une déclaration dans la nuit de dimanche à lundi. Il ne dit pas grand-chose, hormis que l’Egypte est en danger et qu’il faut se méfier d’un complot extérieur.
Le lendemain, le lundi, la même version est reprise : des mains invisibles ont fomenté les troubles intercommunautaires, puis ont attaqué les Coptes. L’armée n’y est pour rien.

Mardi, le ministre de l’Information, Osama Heikal, pas le moins du monde ébranlé, déclare que les chaînes de télévision d’Etat ne sont pour rien dans la désinformation. Il pense que la couverture des événements par les médias d’Etat était impartiale, assure qu’il va demander une enquête, et qu’il présentera des excuses s’il y a lieu.

Il avertit aussi que toute personne répandant des rumeurs sur la télévision d’Etat aura à répondre de ses actes. Il vise tous les activistes et journalistes qui ont été outrés par la couverture officielle des événements, car, selon eux, elle incitait la population à descendre attaquer les Coptes pour « protéger » l’armée.

Comme d’habitude, les responsables de ce chaos sont, pour les officiels, des agents de l’étranger, ou bien des « foloul », c’est-à-dire des restes du régime de Moubarak, qui cherchent à diviser le peuple et l’armée. Pour prévenir cette division de la nation, la télévision d’Etat diffusait aujourd’hui abondamment des images de l’armée victorieuse dans la guerre d’octobre.

Pour expliquer pourquoi les Coptes sont persécutés, la doxa officielle fait aussi appel à la menace salafiste, censément grassement payée par l’Arabie saoudite pour déstabiliser l’Egypte.

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Abbassiya: seconde bataille des chameaux ou bataille de la communication?

C’est à une lutte de symboles que se livrent l’armée et les manifestants opposés au pouvoir militaire. Après les heurts de vendredi et samedi dans le quartier d’Abbassiya, des responsables militaires accusent de trahison nationale le Mouvement du 6 avril, et celui-ci réplique en dénonçant les méthodes et la rhétorique dictatoriales du Conseil suprême des forces armées.
Le vendredi 22 juillet, après plus de deux semaines de ré-occupation de la place Tahrir et pas de changement notable, des militants ont décidé d’aller protester devant le siège du Conseil suprême des forces armées contre la dispersion des sit-in de Suez et d’Alexandrie par l’armée. On ne sait pas pourquoi ils voulaient absolument manifester ce jour-là alors qu’une grande marche coordonnée était prévue pour le lendemain. Ils étaient un ou deux milliers. Ils sont arrivés à Abbasseya, le quartier où se trouve le siège du Conseil suprême des Forces armées. Dans ce quartier, l’armée avait installé des dispositifs de sécurité (grillages, murs de tanks) pour les empêcher de passer.
Après les déclarations de ces dernières semaines sur le manque de civisme des campeurs de la place Tahrir, tant des militaires que des Frères musulmans ou membres d’autres organisations islamistes, beaucoup croient que tout manifestant est un vaurien qui se prend pour un révolutionnaire, met à mal l’économie égyptienne, détruit les propriétés privées, et calomnie la grande armée patriote.
Aussi essuient-ils des jets de pierre, venant de voyous engagés pour l’occasion, ou alors d’habitants du quartier s’imaginant attaqués.
Le Conseil suprême des Forces Armées publie sa 69ème Déclaration, où il accuse le Mouvement du 6 avril d’organiser la méfiance entre le peuple et l’armée. Un général s’exprime à la télé vision pour indiquer que bien évidemment, c’est pour servir les intérêts d’agents étrangers.  Il accuse des sites internet non nommés de monter le peuple contre l’armée (twitter, facebook, c’est pour vous!), et il remercie ceux qui ont attaqué les manifestants de s’être interposés entre eux et l’armée…
Le mouvement répond qu’il n’était pour rien dans l’organisation de cette marche, et que le Conseil suprême cherche à discréditer les mouvements d’opposition pacifique qui demandent la réalisation des espoirs de la Révolution. Le mouvement du 6 avril est le mouvement de société civile le plus organisé: il date d’avant la Révolution (Mahalla, 2008) et a dorénavant une antenne dans chaque gouvernorat. Il avait en effet, ainsi que d’autres mouvements et partis de la Coalition Démocratique, appelé à une marche, mais le samedi 23 juillet! C’est la date anniversaire de la révolution égyptienne de 1952, qui fut d’ailleurs un coup d’Etat militaire. Cette marche voulait soutenir les objectifs de la Révolution et protester contre le pouvoir politique détenu par l’armée, et contre la persistance de la comparution de civils devant les tribunaux militaires.  Elle a bien eu lieu, et elle a eu aussi pour but de défendre le 6 avril contre la calomnie. Le cortège se chiffrait en dizaines de milliers selon les participants. Elle s’arrête devant le blocage d’Abbassiya, où manifestants et militaires s’observent de chaque côté des barbelés.  Le temps du “peuple et l’armée, une seule main” est bien fini ici.

photo de Gigi Ibrahim. Rue d'Abbasseya bloquée par un mur de tanks.

Le soir, des affrontements ont lieu à nouveau. Ils durent plusieurs heures, surtout dans les rues de traverse, où certains des manifestants se retrouvent bloqués.  (photos dans cet article du blog d’un journaliste d’Al-Masry Al Youm)
L’armée, bientôt rejointe par la police militaire et les forces de sécurité, reste passive et se contente de tirer en l’air, tandis que les pierres et les cocktails Molotov pleuvent. Les manifestants, dégoûtés, retournent à Tahrir dès qu’ils sortent du quartier.
D’après le Ministère de la Santé, les heurts ont fait plus de 300 blessés.
Le même jour, le Premier Ministre Essam Sharaf dit que le gouvernement a bien l’intention de réaliser les demandes de la révolution, mais qu’il y a façon et façon de réclamer, et que le dialogue est la meilleure option.
Comme d’habitude, l’armée gronde et le gouvernement rassure.
Les manifestants ont l’impression de revivre l’opposition à Moubarak, avec la même désinformation dans les médias, la même tactique de bataille de rue, comme celle des chameaux sur la place Tahrir le 2 février, et les arrestations au hasard.
Le lendemain, Dream 2, une chaîne de télévison privée, pourtant, renvoie une journaliste, Dina Abdel Rahman. Elle avait eu l’impudence de lire un éditorial du journal Tahrir, qui critiquait la position du Conseil militaire envers le 6 avril.
Lundi, le Ministre de la Santé a reçu certains jeunes de la Révolution et a annoncé que des enquêtes seraient ouvertes sur les événements d’Abbassiya.

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Pourquoi les sit-in continuent-ils ?

L’impatience a gagné des centaines de milliers d’Egyptiens. Plus de six mois après la chute de Moubarak, le « système » est toujours en place. Un énième remaniement ministériel vient d’avoir lieu, d’autres promesses ont été faites, les appels au calme se multiplient, qu’ils viennent des représentants de l’armée ou des Frères musulmans, voire des salafistes, qui traitent tous régulièrement de “voyous” (baltagya) les manifestants (pure tradition moubarakienne) mais des milliers de gens ont décidé de ré-occuper l’espace public- physiquement : d’où les sit-ins partout en Egypte, notamment l’occupation de la fameuse place Tahrir.

Début juillet, la colère explose à nouveau. D’abord à cause du report d’un mois, fin juin, du procès de l’ex-Ministre de l’Intérieur, Habib al-Adly, accusé d’avoir mené la répression de la révolte qui a détrôné Moubarak, et d’être ainsi responsable de plus de 800 morts. Ensuite avec la répression très brutale (entre 500 et 1000 blessés) d’une manifestation de familles de victimes de la Révolution, qui demandait justice, au Caire, le 28 juin. Les affrontements avec la police ont bien montré que la haine et la méfiance envers cet outil de la dictature de Moubarak est toujours présente, et les blessés, qu’elle est toujours en partie justifiée. Enfin, à cause de la libération, le 4 juillet, par le tribunal de Suez, de 14 policiers accusés d’être responsables des victimes de la Révolution.

Depuis le 8 juillet, la place Tahrir est à nouveau occupée jour et nuit. Les partis et les mouvements y ont établi des stands, et les « angry youg men » et « women », et les plus vieux, et les enfants, et les familles, y plantent des tentes, y apportent de l’eau, des vivres, leur wifi, leur téléphone, leurs feuilles de dessin, de l’optimisme, de la détermination, enfin de quoi s’installer, et de quoi combattre, en s’armant contre une chaleur infernale, ce qui leur semble être une contre-révolution par inertie. De très grands rassemblements ont eu lieu le vendredi 8, le mardi 12, et le vendredi 15 (appelé jour du dernier avertissement; photos).

Tahrir le 8 au soir, photo de Gigi Ibrahim

Essam Sharaf, à qui les révolutionnaires faisaient pourtant vraiment confiance lors de son investiture, a été appelé à démissionner. Son discours du dimanche 10 juillet, jugé expéditif et décevant, n’a pas vraiment apaisé les esprits. Il n’y avait pas de consensus de toute la place à ce sujet, malgré tout. Il avait promis de le faire s’il n’arrivait pas à démocratiser rapidement l’Egypte. Certains lui rappellent sa promesse. Le Conseil suprême des Forces armées suscite de plus en plus largement la méfiance. Au début, seuls quelques méfiants s’en défiaient, maintenant, il passe pour la marionnette de Moubarak, ou au contraire pour son maître, et au mieux pour un ensemble de vieux généraux totalement incapable de comprendre les aspirations actuelles de l’Egypte. Le Conseil suprême des Forces armées est la haute autorité militaire qui a la réalité du pouvoir en Egypte. Il y a effectivement un gouvernement civil provisoire, mais il dépend du bon vouloir de cette autorité. Ainsi les ministres doivent-ils lui prêter serment… Les décrets pris par ce Conseil sont largement plus fréquents que ceux du gouvernement, et n’ont pas besoin de l’approbation de ce dernier pour entrer en vigueur.

"à bas le régime militaire" photo de Gigi Ibrahim

Malgré les déclarations et mesures de ces derniers jours, les revendications des manifestants n’ont pas été satisfaites. La déclaration du Conseil militaire, le 12 juillet, notamment, disant à mots couverts l’agacement qu’il ressentait face aux manifestations, a été très mal prise. Aussi l’occupation continue-t-elle.

Les partis et les mouvements ayant appelé à la manifestation, notamment la Coalition de la Révolution, le Front pour la Justice et la Démocratie, le parti Karama (Dignité) etc. demandaient :

– le jugement public des officiers impliqués dans les morts de la répression du soulèvement qui a détrôné Moubarak ; cette demande n’a pas été satisfaite, bien qu’elle ait été entendue. Le 12 juillet, le Premier Ministre Sharaf a déclaré que des tribunaux réservés à ces cas seraient mis en place pendant l’été, malgré les vacances habituellement prises par les juges à ce moment-là. On attendait de voir. Le lendemain, près de 600 policiers sont mis à pied, mais sans jugement préalable !

– un jugement rapide et public de la famille Moubarak et des symboles de la corruption du régime déchu : rien du côté des Moubarak, en revanche le début du procès du Ministre de l’Information, Anis al Fiqqi, a été retransmis à la télévision. L’ancien Président est censé être jugé le 3 août, mais son avocat ne cesse de dire que sa santé est très mauvaise, qu’il est à l’article de la mort, et encore ce dimanche, le 17!

– l’annulation des jugements de civil par des tribunaux militaires : le Conseil suprême des Forces armées a entendu cette demande: il a déclaré qu’il réserverait les jugements militaires aux cas de violence, viol, etc. et qu’il ne s’en servirait plus pour juger les activistes arrêtés dans les manifestations. Mais ce n’est pas la première fois qu’on entend une semblable promesse, non suivie d’effets.

– la révocation de la loi anti-grèves et anti-manifestations : c’est une loi passée après la chute de Moubarak pour « éviter le chaos et protéger la stabilité et le travail », aucune déclaration n’a été faite à ce sujet;

– la limitation de l’autorité du Conseil suprême des forces armées

– de refaire un budget de l’Etat plus favorable aux pauvres ; sur ce point, les syndicats rajoutaient qu’ils souhaitaient un salaire minimum de 1200LE (il avait été élevé jusqu’à 700 LE il y a environ un mois et demi), et un salaire maximum de 15 fois ce salaire minimum

– l’interdiction de se présenter aux deux mandatures à venir pour les ex-membres du PND.

Le Mouvement du 6 Avril (il a plusieurs pages facebook, plusieurs réseaux d’information, et une page par région) a déclaré poser comme conditions à son départ de la place : le renvoi du procureur général, Abdel Magid-Mahmoud,

marche vers les bureaux du procureur général, le 20 juillet, photo de Mona Seif

le renvoi de Gawdat El-Malt, le Président de l’Organisation chargée de contrôler les fraudes (à cause de la lenteur des procès contre les dignitaires du régime de Moubarak) et un remaniement des ministères et des institutions publiques pour en renvoyer les restes de la période Moubarak.

Cinquante manifestants seraient en train de continuer une grève de la faim.

photo de Tahrir le 19 juillet, prise par Gigi Ibrahim

Une grande partie des manifestants a l’intention de rester au moins jusqu’au début du Ramadan, qui commence le 1er août.

Une invitation facebook (page en anglais), de nature festive et religieuse autant que sociale et politique, a de toute façon déjà été lancée pour la rupture du premier jeûne du vendredi, Chrétiens et Musulmans ensemble, place Tahrir. Initialement, c’était une idée de l’ANC (Baradei) mais son succès dépasse l’audience de ce parti.

Certains des manifestants expliquent qu’il restent, bien sûr pour faire pression, mais aussi à cause de la fascination qu’exerce sur eux cette société miniature de Tahrir. Une société avec tous les âges, presque tous les courants d’opinion, et tous les problèmes (pauvreté, vols, harcèlement) que connaît la société égyptienne, mais sans police (ou plutôt, avec un service de sécurité composé de volontaires, parfois aussi brutaux que la police, parce qu’ils ont eu, par exemple, maille à partir avec une attaque de vendeurs itinérants, et parfois plus civils), sans institutions: bref, une tabula rasa où l’on pourrait écrire tous les rêves.

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Pourquoi les élections législatives ont-elles été repoussées ? ou Qui a peur des Frères musulmans?

Elles étaient censées avoir lieu en septembre. Ce ne sera pas le cas, a annoncé le Conseil suprême des Forces armées. Elles auront lieu vraisemblablement en novembre.

Le report des élections législatives a été annoncé pour satisfaire une partie de l’opinion. En effet, depuis l’approbation massive du replatrâge de la Constitution lors du référendum d’avril, certains protestent et réclament une Constitution avant les élections, ou au moins le report des élections. Ce sont des activistes qui étaient opposés à ce vote d’avril parce qu’ils voulaient une Constitution minimaliste mais démocratique, et tout de suite, et des libéraux, c’est-à-dire, dans le lexique de la vie politique égyptienne, des sécularistes militants. Bien sûr, on rétorquait à ceux qui voulaient quand même une commission pour rédiger rapidement une Constitution démocratique, qu’ils n’étaient eux-mêmes pas très au fait des us de la démocratie, puisqu’ils ne respectaient pas la volonté populaire qui avait donné son aval aux modifications de la Constitution.

Pour la manifestation et le sit-in à durée indéterminée du 8 juillet, l’un des mots d’ordre envisagés était d’ailleurs : « la Constitution d’abord ! ». Le plus fédérateur a finalement été : second vendredi de la colère. En effet, ce grand intérêt pour la Constitution ne vient que d’une partie de la population, beaucoup s’intéressent à des questions plus terre-à-terre.

Les échéances sont donc repoussées, mais leur ordre est maintenu : d’abord les élections, et ensuite la Constitution.

Mais pourquoi certains voulaient-ils « la Constitution d’abord ! » ?

Tout simplement parce qu’ils craignaient que les Frères musulmans ne soient les principaux rédacteurs de cette Constitution et ne fassent de l’Egypte un Etat islamique. Certes, diverses figures parmi les Frères musulmans ont voulu dissiper cette inquiétude, mais en vain.

Théoriquement, la Constitution qui fait de l’Egypte un régime militaire et présidentiel à l’excès avait été abrogée à la chute de Moubarak. Mais les amendements d’avril, concernant et libéralisant les conditions pour se présenter aux élections présidentielles, et limitant les pouvoirs de l’exécutif, l’ont de fait réactivée !

D’après les amendements d’avril aussi, néanmoins, le prochain Parlement élu a l’obligation de rédiger une Constitution.

Sa composition est donc primordiale puisque c’est elle qui déterminera les orientations de la Constitution. Or, vu l’état de la scène politique dans les campagnes à la chute de Moubarak, le parti qui apparaît comme pouvant mobiliser le plus de sympathisants dans toute l’Egypte paraît bien être les Frères musulmans. Depuis quelques mois, on assiste bien à une floraison de nouveaux partis, dont certains ont vraiment des moyens, comme El-Adl (la justice), ou bénéficient du soutien de militants motivés, comme les socialistes, mais il leur faut encore du temps pour se préparer.

Jusqu’à présent, certains partis et mouvements, comme l’Association nationale pour le Changement, d’El-Baradei, ont rendu publics leurs principes ou manifestes constitutionnels. Le mouvement du 6 avril débute une campagne de sensibilisation et de réflexion (page facebook).

Et récemment, le 7 juillet, juste avant la grande manifestation du vendredi, dans un timing conforme à ses habitudes (une concession la veille pour dégonfler la mobilisation), le Conseil suprême des forces armées a ré-affirmé qu’une nouvelle déclaration constitutionnelle, avant toute chose et pour dissiper les inquiétudes, serait édictée, qui déterminera les principes de la Constitution à venir.

Cependant, un Conseil national est déjà chargé de rédiger ces principes constitutionnels et a émis plusieurs recommandations, la dernière datant du 2 juillet ! Ce Conseil est composé de juristes et d’activistes.

Le texte demande un Etat civil et moderne, qui garantisse la liberté, la justice sociale et la dignité humaine.

L’article 2 est conservé. Il spécifie que la loi trouve sa source principale dans la sharia et que l’Islam est la religion de l’Etat. C’est un article qui pose problème mais que personne n’envisage de modifier, tellement les résistances seraient violentes et les dissensions fraternelles. Néanmoins le texte précisait que le gouvernement ne pouvait pas imposer de décrets religieux au peuple.

Enfin l’armée restait le protecteur de l’Etat, mais avec une obligation de consultation constante de la Cour suprême constitutionnelle.

La dernière déclaration des Frères musulmans ne fait rien pour arranger les choses: ils protestent contre l’idée d’un comité travaillant à la Constitution avant les travaux de l’Assemblée constituante proprement dite: mettre en place des principes qu’aucune Constitution ne pourrait modifier serait anti-démocratique. Ils appellent donc à une grande manifestation le 29 juillet, pour protester contre les protestataires! Selon eux, il y a en ce moment en Egypte une “minorité” qui dédaigne les intérêts de la majorité silencieuse…

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27 mai: Révolution égyptienne, seconde : deuxième jour de colère, énième vendredi

Les numéros 2 d’un grand succès laissent toujours un goût amer. La deuxième édition, quatre mois plus tard, du Jour de Rage a été, à certains égards, un succès, et à d’autres, un échec. Ce 27 mai n’était en tout cas assurément pas une deuxième Révolution. Le but principal, montrer que des centaines de milliers de personnes à travers l’Egypte sont encore prêtes à se mobiliser, même sans le soutien des Frères musulmans, sur le mot d’ordre de soutien à la Révolution, a quand même été atteint.

Tout d’abord, pourquoi une « deuxième Révolution » ?

Tous les activistes n’étaient pas d’accord sur cette appellation. Presque tous les vendredis depuis la chute de Moubarak, des manifestations ont lieu place Tahrir. Ce vendredi-ci, quatre mois après le 28 janvier, était une bonne occasion de rendre hommage aux « martyrs » et de prendre un nom accrocheur pour aider à mobiliser les foules. L’idée d’une « deuxième révolution » vient du désir de retrouver l’élan de fraternité de la Révolution, ainsi que des motifs de colère contre la gestion de la période de transition par le gouvernement de transition et le Conseil suprême des Forces armées (CSFA).

Ce vendredi voulait être autre chose qu’une grande kermesse. L’ambiance, sur place, était, par endroits, aux discussions politiques, à d’autres, on buvait du jus de mangue en famille dans la chaleur étouffante (presque  40°), à d’autres encore, on s’imaginait continuer le sit-in dans la nuit et mourir en martyr sous les balles de l’armée qui viendrait nettoyer la place à l’heure du couvre-feu.

« Je n’ai pas vu de changement (taghir), alors je redescends à Tahrir »

Tel était le slogan de ce vendredi 27. Les changements attendus en vain, et promis régulièrement par le CSFA étaient :

-la fin des jugements militaires des civils

-l’instauration d’une limitation des salaires (maximum et minimum)

– le jugement de Moubarak et des autres symboles de la corruption

– la compensation financière aux blessés et aux familles des morts de la Révolution

– la dissolution des conseils locaux et des enquêtes sur l’intégrité des gouverneurs

– le retour de la police et sa réorganisation pour une approche plus citoyenne

– un aggiornamento des médias ou le licenciement des journalistes trop proches de l’Ancien régime

– une date claire pour toutes ces mesures.

fin des jugements devant les tribunaux militaires. Un civil se juge devant un tribunal normal.

Bien sûr, ce sont les demandes sur lesquelles les différentes organisations s’étaient mises d’accord, cela ne signifie pas du tout qu’elles faisaient l’unanimité parmi les manifestants. Ainsi la question des salaires laissait dubitatifs ceux qui trouvent l’économie égyptienne trop mal en point pour se permettre de prendre des mesures sociales et contre les hauts salaires. La question de la “purification” ne fait pas non plus l’unanimité: “si on devait licencier tous ceux qui ont participé au système… à ce compte-là, c’est -le peuple veut purifier le peuple!-”

« On est toujours là »

Tous ceux qui ont appelé à participer à cette manifestation (organisations de la Révolution, mouvements comme le 6 avril, hommes politiques comme El-Baradei) avaient trouvé que le moment était stratégique : le procès de Moubarak, symbole de la dictature renversée, traînait, les changements de fond aussi.

sur la bannière centrale: "le peuple veut: le jugement transparent et rapide des assassins et des symboles de la corruption"

Si beaucoup de manifestants étaient surtout là pour l’ambiance de kermesse, la plupart revenaient au militantisme après l’avoir abandonné à la suite des manifestations du 1er avril (dit de « protection de la Révolution » et de « purification des médias » -rien de saillant ne s’en était suivi) et du 8 avril (jour de la manifestation des officiers dissidents). Beaucoup, bien sûr, sont aussi des militants acharnés, participant à toutes les actions, pour les droits des militants jusqu’à la Palestine en passant par la solidarité interconfessionnelle et la dénonciation du CSFA.

La fin de la manifestation a été votée pour 6 heures, afin de rendre la place à la circulation et de montrer le civisme des manifestants. Certains sont restés jusque dans la nuit. D’autres sont revenus pour nettoyer un peu la place (certains se promenaient dans la journée avec des sacs poubelles, mais l’ardeur ménagère et le civisme étaient dix fois moins présents que pendant les 18 jours de gloire). Le respect des femmes était aussi largement moins présent dans la foule, même si certains s’occupaient de vérifier le comportement de leurs compagnons, ou de ménager des espaces sécurisés par lesquels les femmes pouvaient passer sans craindre d’irrespect lié à la foule. Des actes de délinquance aux abords de la place ont été rapportés.

Welcome to Revolutionland

La Révolution est un grand motif de fierté nationale pour les Egyptiens. Prolifèrent partout les colifichets et objets divers aux couleurs de la Révolution, de l’Egypte, ou à l’effigie caricaturale de Moubarak. Les chansons qui font des déclarations d’amour à la patrie et à la glorieuse jeunesse colonisent toutes les radios et télévisions, et les publicités ne sont pas en reste pour titiller la fibre nationaliste. En ce moment, le sentiment national semble se résumer à la glorification de la Révolution. Et la Révolution semble se résumer à un épisode définitif, immédiatement mythologisé et figé dans sa réécriture émotionnelle et patriotique.

Pendant les fameux 18 jours, et encore quelques semaines après, on vous peignait le drapeau égyptien d’autorité et fraternellement sur la main ou la joue, aujourd’hui c’est un business attrape-touristes.

Effervescence et division politiques

Les manifestants ne parlaient pas d’une seule voix ce vendredi. Déjà, pendant la Révolution, les opposants au « régime » dans son intégralité se différenciaient de ceux qui voulaient simplement la chute de Moubarak, les légalistes des jusqu’aux-boutistes. Aujourd’hui, ceux qui ont été frustrés par le « oui » au référendum sur les amendements constitutionnels continuent à insister sur le danger pour la démocratie que représenterait la rédaction de la Constitution par un Parlement dominé par les Frères musulmans. Et selon eux, c’est ce qui arrivera avec les élections en septembre, la Confrérie étant la seule organisation assez importante aujourd’hui (et en septembre) pour avoir un grand groupe.

panneau de gauche: la dignité de la révolution n'est pas à vendre. panneau de droite: la Constitution d'abord

Le problème est presque ontologique : faut-il, pour défendre la démocratie, aller jusqu’à contrarier la volonté de la majorité ?

Des partis s’organisent, certes. Mais aucun ne semble bénéficier d’un large soutien populaire. Ces jours-ci, on ne compte plus les nouveaux partis (ou les déclarations de fondation, du moins, car le processus d’officialisation est une autre affaire). Les moyens diffèrent largement, entre les prospectus sur papier glacé et les tracts sur papier journal. Ce vendredi, le parti créé après la révolution qui semblait avoir le plus de moyens était celui de ‘Adl (justice). Il se revendique comme anti-idéologie, et  c’est tout juste s’il a un programme. Il se dit respectueux des valeurs traditionnelles, et progressiste, et garant des principes de la Révolution.

D’illustres inconnus distribuaient aussi des feuillets indiquant qu’ils se présenteraient à la présidentielle.

Les discussions politiques allaient bon train sur la place: où veut-on aller, vers plus de capitalisme, plus de socialisme, plus de libéralisme (économique, social- ici le terme de “libéral” veut presque plutôt dire séculariste, laïc) ou de conservatisme? Des socialistes contre le jugement des civils devant les tribunaux militaires,  des “libéraux” manifestent pour la Constitution d’abord, d’autres demandent un conseil présidentiel civil (deux demandes qui paraissent hors de saison), d’autres encore s’adonnent à la nostalgie Nasser. La popularité de l’ancien Président et du socialisme arabe étaient visibles à travers ses portraits, les cartes à son effigie et les programmes que certains groupes distribuaient. Il existe effectivement un parti nassériste (présent sous Moubarak) mais même en-dehors de cette mouvance, l’époque Nasser est souvent idéalisée.

Dictature militaire ou paranoïa des activistes ?

La situation est assez confuse, il faut bien l’admettre. Certains activistes s’inquiètent énormément du CSFA. Ils ne représentent qu’une minuscule partie de l’opinion. Ils ont l’impression que la dictature militaire qui était en place sous Moubarak perdure, que le changement n’est que de façade. Ils sont confortés dans cette opinion par la censure qui touche le sujet de l’armée et la brutalité avec laquelle sont traités les opposants au CSFA (arrestations, interrogatoires, jugements militaires). Depuis février, selon certaines organisations, cinq mille militants auraient été arrêtés.

"le peuple veut un conseil présidentiel civil"

De plus, les membres de ce conseil restent assez mystérieux, ce qui contribue à entretenir l’impression de manipulation. Depuis quelque temps, le noyau dur des activistes manifeste pour la démission du CSFA et son remplacement par un conseil présidentiel civil. Cette demande est pour beaucoup irréaliste, si longtemps après la chute de Moubarak, et trop peu de temps avant les élections. Certains insistent pour différencier l’armée, qui mérite toujours son immunité, du Conseil, qui, ayant un rôle politique, devrait accepter de se soumettre à la critique.

Par ailleurs, les mesures que prend le CSFA avant les vendredis de manifestation importante, pour désamorcer l’impatience, ont tendance à agacer. Elles sont vues comme des miettes que l’armée jette au peuple pour le faire tenir tranquille.  Cette semaine, c’était l’annonce de l’ouverture de la frontière à Rafah vers la bande de Gaza, sauf pour les hommes entre 18 et 40 ans, et sauf les vendredis, (dernièrement, les manifestations pro-Palestine étaient très nombreuses et virulentes) et l’inculpation de meurtre sur la personne des manifestants de la révolution de Moubarak et de ses fils.

La décision de l’armée et de la police d’être absentes lors de la manifestation de ce vendredi, officiellement pour éviter des affrontements entre jeunes trop opposés à l’armée et forces de maintien de l’ordre, a été considérée par certains comme une manière d’inciter  les délinquants à agir en toute impunité, soit pour augmenter l’hostilité d’une partie de la population envers la Révolution, soit pour permettre à l’armée de renforcer son contrôle en toute légitimité, pour des raisons de sécurité.

Boycott des Frères musulmans ?

Officiellement, les Frères musulmans boycottaient la manifestation, au motif qu’elle ne ferait qu’appeler à l’hostilité envers l’armée, et parce qu’ils sont favorables à un retour à la normale. Cependant, place Tahrir, des jeunes Frères musulmans étaient présents et distribuaient des prospectus. Depuis la révolution, le mécontentement d’une partie des jeunes des Frères musulmans envers la direction de la confrérie, trop conservatrice, se fait de plus en plus sonore.

La majorité silencieuse

Par définition, il est difficile de savoir ce qu’elle pense…  Elle partage vraisemblablement l’agréable sentiment de fierté nationale, l’inquiétude pour la stabilité et le marasme économique que diffusent les médias d’Etat et aussi OnTV, la chaîne du magnat Naguib Sawiris. Confrontés à l’aggravation des problèmes d’insécurité (la police ne s’est pas encore remise à travailler correctement, si tant est qu’elle l’ait fait un jour, et des prisons ont été ouvertes pendant la Révolution précisément pour créer de l’insécurité), à la frilosité du marché de l’emploi (un huitième des emplois est lié au tourisme, qui a dramatiquement chuté), à l’augmentation du prix des importations (la livre égyptienne avait beaucoup baissé), beaucoup accusent la « Révolution » de n’avoir fait qu’empirer les conditions de vie déjà difficiles de la majorité de la population.

Quelques jours après cette manifestation, les instances dirigeantes n’ont rien fait de particulier, le procès de Moubarak est encore ajourné, et des sources judiciaires ont laissé filtrer qu’il n’y avait pas de preuves convaincantes de l’implication directe de Moubarak dans la mort des manifestants.

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Sur la place Tahrir, les anti-Moubarak restent déterminés

Le Caire n’est plus paralysé, mais la place Tahrir est toujours occupée par les dizaines de milliers de manifestants qui réclament le départ de Moubarak et l’avènement de la démocratie. Reportage.

Au Caire, la vie semble reprendre son cours normal: magasins rouverts, rues encombrées, bruit, agitation et clins d’oeil aux étrangères… Les vendeurs de pain, de fruits et légumes, assis sur les trottoirs ou affairés derrière leur charrette attelée à un âne, les enfants vendeurs de mouchoirs, tous ont retrouvé leur poste. Le couvre-feu a été repoussé à huit heures du soir. La plupart des administrations et universités sont censées fonctionner comme d’habitude.

Mais, ce mardi, ils sont encore des centaines de milliers à affluer sur la place Tahrir. Les tentes de camping et les bâches y poussent toujours comme des champignons.

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Une petite fille gambade autour des pierres qui écrivent le mot "Irhal" : va-t-en!

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